
Infinitifs+
Les formes infinitives traversent l'ensemble des corpus de l'artiste, parfois de manière frontale, parfois en filigrane. Ni conjugué ni temporellement fixé, le mode ’infinitif se tient à la frontière entre le langage et l’action. Il ne décrit pas, il orchestre, oriente, ritualise. Mode verbal réceptif par excellence, il attend un sujet pour s’incarner, une matière pour se conjuguer.
Phrases non conjuguées _ en l'attente d'un sujet pour faire objet, image ou pensée _ les infinitifs+ portent la promesse d’un mouvement concret ou d’une action intérieure ou imaginaire. Ce travail sur les formes infinitives invite à des gestes de soin envers le vivant, à intérroger le cadre ou les limites imposées aux formes naturelles et sociales, à déplacer la perception du temps et de la croissance, en réintroduisant l’affect _ nostalgie, impatience, désir _ dans le rapport au monde. En s’écrivant ainsi à l’infinitif, ces phrases révèlent les structures invisibles qui cadrent nos gestes _ normes sociales, rythmes productivistes, logiques d’efficacité _ et proposent des écarts, des résistances.
Via leur dimension à la fois poétique et performative, les infinitifs+ ouvrent des espaces autres* : des lieux langagiers en décalage, potentiellement concrets ou mentaux, dans lesquels le texte devient surface de projection, protocole de circulation ou rituel partagé.
Comme les hétérotopies décrites par Michel Foucault, ces espaces se constituent en marge des usages normatifs : ils accueillent des formes hybrides _ installations textuelles, grilles de lecture, dispositifs participatifs ou dépôts furtifs _ où le langage agit, se rejoue et s’active en dehors des cadres familiers.
* Référence à la notion d’« espaces autres » développée par Michel Foucault dans sa conférence de 1967.
Grille Infinitive
Grille de lecture à activer
Artothèque de Caen
Activations individuelles ou collectives par la danse, la voix, l'écriture, le théâtre, les arts plastiques, en présence de l'artiste.


Infinitive
Installation textuelle sur vitres
Artothèque de Caen, Palais ducal (14)
2021-Aujourd'hui
Infinitifs+ et +
Installation textuelle sur angle mural
Infinitifs+ déployés
Installation textuelle sur vitres et intervention des publics
groupe socio-linguistique du bhi _ apprentissage du français
Plaine commune Grand Paris, Médiathèque Henri Michaux, Aubervilliers _ 2025.

inf. En Catimini
Objet à diffusion en cours de conception en collaboration avec Les éditions du respirateur une maison d'édition dédiée à l'exploration et à la promotion de la poésie expérimentale et des dispositifs artistiques et linguisitiques conceptuels. www.respirateur.com
visuel : Documentation reçue le 10/07/2023 à 10:11 via M.L
installation à Bazoche en Houlme (61)
Activation confirmée par preuve photographique


Infinitifs frottés
Dispositif de mise en action, partage et diffusion.
Frotter l'infinitif jusqu'à en révéler une image.
Document formel à compléter, horodater
et à co-signer aux côtés de l'artiste.
Le document est archivé numériquement et les frotteur.ses d'infinitifs repartent avec l'original.
“ (...) Au cœur de cette dimension performative où le concept se conjugue avec le corps, Jill Guillais tire le fil du protocole non seulement du côté du réel mais aussi du côté du texte et des mots. Son œuvre Infinitifs+ propose ainsi une série potentiellement infinie d’actions, imprimées dans l’espace d’exposition en majuscule avec la police IMPACT. Les phrases qui en résultent, entre poésie et directives techniques, poursuivent l’exploration des postures, mensurations et mises en forme en lien avec le vivant ; les fleurs, le langage, les astres, etc.
Un très court temps de lecture et nous voici en train de
__COURBATURER LE MOT, CERNER LES NUAGES, PLIER LE SOLEIL EN DEUX LUNES DISTINCTES, FAIRE ATTERRIR L’OMBRE D’UNE ÉTOILE, ORCHESTRER LA PLUIE, COMBLER LA CANOPÉE, ÉTIRER LE POINT POUR RETARDER LA FIN __
(...) Ces tentatives d’épuisement par le geste produisent un étonnant lexique qui rend sensible cette quête existentielle de savoir ce que l’on cherche et ce que l’on trouve, ce que l’on abandonne et ce que l’on gagne au cours de l’acte créatif, de la recherche à la réalisation, de la conception à la monstration.
Jill Guillais expérimente ainsi des actes qui lui permettent de questionner l’exactitude de la traduction entre l’intention initiale, l’application et le résultat. “Je me plais à épuiser le geste et ses enjeux, qu’il soit tangible ou conceptuel. C’est aussi dans sa répétition, ses nuances et son hybridation que son plein potentiel se révèle” affirme-t-elle dans son premier thésaurus édité en 2021. Son lexique d’interaction se veut toujours ouvert et mouvant, capable de fonctionner avant tout comme un outil de perception qui permettrait non pas de dresser des imaginaires établis, prêt à être consommés, mais plutôt d’indiquer la voie pour les multiplier et en façonner toujours des nouveaux.
ouvrir-fermer joindre-séparer recueillir-laisser serrer-relâcher / Jill Guillais, 2022.
Texte de Licia Demuro, commissaire d’exposition et critique d’art